Femmes protestantes (6)

Zéline Reclus (1805-1887)

01 juin 2018

Tous les mois, nous partons à la rencontre d’une femme qui a marqué l’histoire du protestantisme par son engagement, son charisme et ses idées novatrices. Éducation, théologie, santé, nous retrouvons ces femmes dans leur quotidien de foi.

 

 

 

La Révolution française a redonné au protestantisme français, en principe aboli depuis un siècle et longtemps durement persécuté, la liberté de conscience et de culte. Puis Napoléon lui a accordé un statut officiel en payant les pasteurs comme les prêtres. Le XIXe siècle voit donc son épanouissement en France. C’est aussi le temps où les femmes cherchent leur place et leur tâche, alors qu’elles sont toujours mineures et que la « bonne société » n’envisage pas qu’elles exercent un métier comme les hommes.

La femme dont nous allons parler, exceptionnelle à plusieurs titres, est aussi représentative du souhait de tant d’autres : être fidèle à sa vocation d’épouse et de mère, être une chrétienne avec toute l’humilité souhaitable, mais annoncer sa foi, en témoigner par sa vie entière, enfin arriver à réaliser ce dont elle était capable, sans jamais se plaindre de la difficulté ou du poids de la tâche.

 

Un mariage

Née à La Roche-Chalais en Dordogne, le 25 janvier 1805, dans une famille d’ancienne petite noblesse, Zéline Trigant se marie à 19 ans (en 1824) avec le pasteur de la ville, qui lui a donné des cours de latin. Jacques Reclus, de neuf ans son aîné, est de famille rurale. Pasteur concordataire, il choisira en 1831, par fidélité à ses convictions, de démissionner et de continuer son ministère dans une Église libre. En Béarn, non loin d’Orthez, à Baigts-Castétarbe, il exercera son activité de prédication, d’évangélisation et de service des pauvres. Dans cette aventure spirituelle, à la suite du pasteur Adolphe Monod, Jacques engage aussi son épouse, pas forcément d’accord, et une famille constituée déjà de plusieurs enfants. En effet, si onze enfants de ce couple deviendront adultes, il y a aussi ceux qui n’ont pas vécu - trois filles mortes petites et trois fausses couches - Zéline a été enceinte 17 fois.

 

Une pédagogue

Jacques est trop peu payé et très généreux. Son épouse réalise qu’il lui faut gagner de l’argent pour que le ménage puisse vivre. Elle apprend à lire à ses propres enfants et aux petites servantes, mais c’est pour nourrir la maisonnée qu’elle se met à donner des leçons particulières. Passant son brevet d’institutrice, elle ouvre, dès 1834, une petite école. Plus tard ils habitent Orthez et, titulaire d’un nouveau diplôme, Zéline devient (en 1841) l’entière responsable d’une pension pour jeunes filles. Elle y est, toute sa vie, non seulement l’enseignante dans de nombreux domaines y compris l’initiation au latin et à l’anglais, mais une vraie éducatrice. Excellente pédagogue, elle a soin de former à leur existence future les filles qui lui sont confiées : elle leur apprend aussi couture et broderie, les accompagne dans la foi. Pour ses propres enfants, elle tempère de son mieux la sévérité et la rigueur de leur père.

 

Une mère de famille

Des cinq fils, tous grands voyageurs, le géographe Élisée Reclus est le plus célèbre. Les quatre autres le sont aussi en ethnographie, géographie, médecine. Les deux aînés ont été un temps bannis en Suisse après la Commune. Onésime a inventé le mot francophonie. Armand a contribué au canal de Panama. Les six filles, très cultivées, ont de bonne heure pu gagner leur vie (souvent en Grande-Bretagne) comme enseignantes ou traductrices.

Zéline a connu quelques honneurs pour sa tâche. Elle s’éteint à 82 ans.

 

Il ne faut pas confondre Zéline avec sa nièce Pauline Reclus, qui fut une pionnière dans l’Éducation Nationale et dont notre journal a parlé en février 2018. Toutes deux méritent admiration et reconnaissance.

 

 

Marjolaine CHEVALLIER,
maître de conférence honoraire à la faculté de théologie de Strasbourg

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