Protest’Temps

Voir Dieu ?

01 juillet 2017

Notre corps humain bénéficie de cinq sens. L’ouïe, dans notre protestantisme, est très sollicitée. Mais qu’en est-il des autres ? Dans certains lieux où il m’a été donné d’être pasteure, le goût est également fortement requis, lors de repas approvisionnés plus que de nécessaire, tout comme l’odorat, quand il devient difficile de finir le culte avec le fumet des plats qui s’échappe du four…Mais le protestantisme néglige la vue, sans doute un vieux reste de son histoire. Sans trahir notre théologie, il est peut-être possible de lui redonner du sens.

La vue est très peu mise à contribution lors de nos cérémonies cultuelles. Parce que les textes bibliques disent qu’il est impossible de voir Dieu, que toute représentation pourrait divertir l’assemblée ou la conduire vers l’idolâtrie, nous restons dans le « il n’y a rien à voir : circulez ! ».

CapElie a vu Dieu...de dos@internettion

Nous restons aussi dans la sobriété, allant jusqu’à une austérité qui peut ressembler à de la tristesse. Mais est-ce compréhensible aujourd’hui ? Il est temps que notre protestantisme réfléchisse à notre humanité empreinte de sens, de cinq sens (cf. l’éditorial d’Ensemble n°312 de l’an dernier). Une foi encouragée, soutenue, nourrie par la seule écoute des prédications ou des lectures bibliques pouvait convenir à mes grands-parents, habitués à vivre sans image, peut-être aussi à mes parents, mais que peuvent en comprendre mes enfants ? L’image est partout et en rien négative aujourd’hui. Comment vivre notre foi, comment en témoigner sans rien en montrer à voir ?

Diversité

Regardons ce qu’en dit la Bible. Il y a bien sûr tous les textes qui disent qu’il est impossible de voir Dieu. Ainsi Exode 33,20 et 23 : « Tu ne pourras pas voir ma face, car l’être humain ne peut me voir et vivre. […] tu me verras par derrière ; mais ma face ne pourra pas être vue. » Notre protestantisme a également été bercé par les versets du type : « Heureux ce qui croient sans avoir vu » (Jn 20,29b) et « la foi c’est la réalité de ce qu’on espère, l’attestation de choses qu’on ne voit pas » (Hb 11,1). Mais sur ce sujet, comme sur tous les autres, la Bible n’est pas lisse. Certains passages bibliques, faisant place à la « vue de Dieu », ne sont jamais cités. Ainsi Exode 24, 10-11 : « « Moïse monta avec Aaron, Nadab, Abihou et 70 des anciens d’Israël. Ils virent le Dieu d’Israël ; sous ses pieds, c’était comme un ouvrage de lapis-lazuli étincelant, comme le ciel lui-même dans sa pureté. Il n’étendit pas la main sur l’élite des Israélites. Ils virent Dieu, puis ils mangèrent et burent. »

« Il est temps que notre protestantisme réfléchisse à notre humanité empreinte de sens, de cinq sens »

Voici deux petits versets rarement lus. Nous nous arrêtons plus volontiers sur Exode 19,21 « Le Seigneur dit à Moïse : Descends, avertis le peuple, de peur qu’il ne se précipite vers le Seigneur pour regarder et qu’il n’en tombe un grand nombre. » A quelques chapitres de distance, mais dans un même contexte, nous nous trouvons devant des versets qui se contredisent. L’un affirme qu’on ne peut pas voir Dieu et les autres soulignent que cette vision est possible. Les commentateurs modernes nous ont appris que l’Ancien Testament laissait parfois se manifester des signes d’une époque où le peuple était polythéiste, idolâtre, avec des représentations différentes de Dieu. À l’époque de Josias, il y a eu un recadrage théologique et un grand nettoyage. Certains textes ont échappé à cette uniformisation. Il en est resté affirmant la possibilité de la vision de Dieu, souvent en contexte cultuel (les Psaumes en sont un bel exemple).

Imprécision

Un peu plus proche de nous, Luther disait que les images ne sont pas nécessaires mais utiles au salut. Elles ne sont donc pas interdites. Pour Calvin, au contraire, Dieu est esprit. Il est donc tout à fait exclu qu’on l’adore avec un quelconque élément sensible. Et, aujourd’hui encore, des théologiens estiment que « Dieu, s’il est la vérité de la réalité […] est nécessairement invisible » (F. Vouga, ETR 90, 2015/2, p.165). Mais ne pouvons-nous pas imaginer le rencontrer à l’aide de la vision ? Les textes bibliques semblent corroborer cette idée : l’apôtre Paul dans la Deuxième Épître aux Corinthiens affirme avoir été enlevé au 3e ciel, au paradis (12, 2-4). Il me semble donc qu’une vision de Dieu est possible. Mais il est compliqué d’en dire plus… Le vocabulaire hébreu et grec ne nous aide pas. Tantôt les verbes employés signifient « voir » (comme je peux voir avec mes yeux ce qui m’entoure) tantôt ils désignent la « contemplation » (comme dans une vision prophétique, mystique). Le seul moyen que nous avons pour essayer de faire la distinction est d’interpréter le contexte et d’en définir le sens précis. Mais l’interprétation fait intervenir peu ou prou la subjectivité de l’interprète.

Reconnaissance

Toutefois, aujourd’hui, ne peut-on pas sereinement reconnaître que certains puissent avoir vu Dieu ? Avec le risque que nous connaissons de tomber dans l’idolâtrie, de s’éloigner de Dieu au lieu de s’en approcher : les images peuvent en effet capter toute notre attention et nous faire oublier ce à quoi elles renvoient. Mais pourquoi le besoin de voir d’un tel serait moins bien, moins chrétien que la relation spirituelle d’un autre ? Après tout, les femmes au tombeau, au matin de Pâques, ont bien dit avoir vu le Ressuscité.

« Pourquoi le besoin de voir d’un tel serait moins bien, moins chrétien que la relation spirituelle d’un autre ? »

Un verbe auquel chaque catéchète, chaque prédicateur doit faire face pour expliquer pourquoi, maintenant, il est impossible de le voir. Il m’est arrivé d’entendre des personnes me raconter leurs visions et la souffrance qu’ils avaient de ne pas être cru (sans parler de ceux à qui on a conseillé d’aller voir un psychiatre !). Mais si notre foi, notre vie, à un moment donné, a besoin de quelque chose de plus tangible qu’une parole : est-ce vraiment de la folie ? Et si certains ont besoin d’autre chose que d’entendre pour croire : est-ce si mal ?

Différence

Comment faire une place aux croyants qui ne pratiquent pas comme nous en avions / avons l’habitude ? Quel lieu offrons-nous à nos contemporains qui ont soif de spiritualité, soif de Dieu mais qui ne se retrouvent pas dans ce que notre Église propose ? Nous laissons-nous interroger ? Interrogeons-nous nos pratiques ? Les textes bibliques sont pluriels. Notre humanité est multiple. Pourquoi devrions-nous proposer qu’un seul type de spiritualité, qu’une façon de croire ? Cela reste une question pour moi. Je n’ai pas l’expérience des visions mais je rencontre des hommes et des femmes qui souffrent de ne pas être entendus et reconnus dans leur foi, dans leur Église. Je crois que Dieu s’adresse à chacun d’entre nous dans notre différence. Il peut se mettre à la portée d’un petit enfant comme du plus grand intellectuel. Alors, ne fermons pas les portes à la différence ! Bien sûr, cela questionne, dérange nos habitudes mais cela peut être rafraichissant et rendre intelligible notre foi à tous ceux qui nous trouvent trop austères, tristes, intellos. Les textes bibliques exposent une pluralité de relations avec Dieu possibles. Dès lors, même si nous devons être appelés fous, ouvrons-nous à cette diversité. Nos enfants qui ne vivent pas dans le monde de nos grands-parents pourront peut-être rencontrer Dieu !

 

 

Emmanuelle Mouyon,
Pasteure à Toulouse.

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