Une référence pour aujourd’hui

01 octobre 2017

Marc-Frédéric Muller fut parmi les premiers à enrichir le catalogue des publications consacrées à l’œuvre de Luther, en vue de la commémoration des 500 ans de son geste fondateur de l’affichage des 95 thèses. Dès le début de l’année 2016, il consacrait un livre riche et fouillé sur la pensée et la théologie du Réformateur de Wittenberg. Ce dernier montre combien les grands axes de la pensée de Luther permettent d’offrir des ressources à notre propre pensée théologique aujourd’hui, en faisant jouer de façon créative les décalages culturels entre son siècle et le nôtre.

Quelle a été votre approche ?

Marc-Frédéric Muller : Je ne suis pas historien, mais plutôt systématicien. Mon approche n’était donc pas d’offrir une biographie historiquement documentée, mais de réfléchir à la pertinence de la pensée théologique de Luther pour notre monde aujourd’hui. Au fond, pourquoi le célébrer encore aujourd’hui ? En quoi sa pensée nourrit-elle encore les Églises qui se réclament de lui

– alors que, pour tant d’autres, cette célébration ne fait pas sens ? Pour l’Église catholique, c’est le souvenir d’une déchirure, alors que pour les Églises évangéliques ou pentecôtistes, la pensée de Luther est déjà dépassée.

La pensée de Luther est-elle actuelle ?

M.-F. M : Je me prononcerais plus sur la tension pertinence/impertinence de cette dernière. Comment sa pensée vient-elle interpeller notre monde et notre théologie aujourd’hui ? Mais ce serait la tordre que de chercher dans l’œuvre du Réformateur des réponses aux questions que nous nous posons. À cet égard, il faut bien mesurer que Luther n’est pas moderne au sens où on l’entend souvent : c’est un homme du Moyen Âge qui a certes eu des fulgurances qui l’ont fait pencher du côté de la Renaissance… mais il reste un homme du XVIe siècle ! C’est pour moi tout aussi incongru que de chercher à parler de la modernité de l’Évangile ! Ce qui est intéressant, c’est plutôt le décalage entre nos questions et les réponses qu’il aurait pu y donner. Avec le risque à courir que le décalage soit trop grand et que désormais, sa pensée ne soit plus pertinente dans notre contexte. Mais cela permet aussi de mettre en évidence les angles morts de notre propre pensée.

Au fond, il s’agit de se placer à nouveau dans la démarche du Réformateur et du mouvement de la Réforme. Il ne s’agissait pas tant de chercher des voies nouvelles ou des réponses inédites que de chercher au contraire à retrouver une fidélité à l’Évangile ; non pas en ligne directe mais en faisant l’effort d’une interprétation.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Pourquoi choisir de revenir à Luther ?

M.-F. M : Pour moi, certainement pas parce que c’est un ancêtre vénérable, mais très certainement en écho à mon parcours théologique personnel, d’une part. Pour mon mémoire de maîtrise, j’ai travaillé sur des éléments pour une grammaire de la théologie de la croix, sous la direction du professeur Jean Ansaldi, et je me suis alors pour la première fois vraiment confronté à la pensée de Luther. Ensuite, au cours de mon ministère, j’ai continué à tracer mon sillon en découvrant la pertinence de cette pensée pour aujourd’hui. Mais, d’autre part, parce que je suis convaincu de la pertinence de la spécificité de cette pensée et de son importance dans le dialogue œcuménique, y compris intra-protestant. Dans un contexte de diversité sauvage au sein du protestantisme, que devient la question qui a donné naissance au mouvement de la Réforme, de la justification par la grâce seule reçue dans la foi, articulée avec la question de l’Écriture seule ? On en est souvent très loin ! Alors, même si je suis sur une fin de comète, de par mon parcours et ma propre théologie, je ne peux faire autrement que de questionner la théologie de Luther…

 Quels sont les défis de notre monde face auxquels il peut être pertinent de convoquer Luther ?

M.-F. M : Je crois que notre monde est traversé par des conflits de visions globales. Or, une vision globale du monde fait quand même largement défaut au sein du christianisme depuis le XVIIIe siècle ; nous sommes piégés par notre spécialisation, et la théologie n’est plus guère convoquée que pour les questions liées à la fin de vie. Si nous sommes en défaut d’une vision, nous ne pouvons plus entrer en débat ou en dialogue. Il s’agit donc de se poser à nouveau la question : qu’est-ce qu’un discours théologique peut dire sur le monde ? Sur ses origines, sur les fins, dernières et avant-dernières (pour reprendre une distinction chère à Dietrich Bonhœffer), sur les limites…

 

 Luther à la Diète de Worms, par Anton von Werner (1877)

 

 La pensée de Luther permet donc de résoudre ce défaut de vision théologique globale ?

M.-F. M : Je crois qu’il convient de penser avec Luther et non pas comme Luther. Reprendre avec lui le point central de la justification par la grâce. Il faut noter que c’est une question – et des débats – qui est revenue régulièrement dans l’histoire de la théologie chrétienne. Elle est présente au cœur du Nouveau Testament, dans la pensée d’Augustin, de Jan Huss, de Luther… Cette clé d’interprétation permet de retrouver une certaine cohérence dans notre réflexion théologique, mais aussi de questionner parfois la cohérence théologique de Luther, qui s’est lui-même éloigné de cette intuition centrale. Mais il faut aussi reconnaître les limites de cette clé de voûte théologique, qui ne permet pas de déduire une éthique chrétienne avec des normes objectives.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Mais revenir à la pensée de Luther revient aussi à mesurer les décalages entre son contexte et le nôtre ; renoncer à tenter de résoudre en ligne directe les questions qui sont les nôtres avec ses mots, mais au contraire chercher à les mettre en tension d’une manière féconde. Le recours à la pensée de Luther requiert une démarche à la fois exigeante et sobre afin de nourrir un langage théologique pertinent pour notre époque.

Quel est le cœur de cette démarche ?

M-F. M : Je crois qu’il faut redécouvrir sans cesse ce qui a porté Luther et lui a donné l’élan de son œuvre théologique : la dimension libératrice de l’Évangile et de la foi chrétienne. Sa pertinence, c’est sa liberté de ton et de parole – même lorsqu’il s’adresse aux puissants de son monde –, sa liberté d’action… La pensée de Luther fait souffler une fraîcheur incroyable sur nos habitudes et nos façons de faire et nous renvoie sans cesse à nos non-libertés aujourd’hui. Sa pertinence relève souvent de l’impertinence ! 

Marc-Frédéric Muller, Martin Luther (1517-2017). Puiser aux sources du protestantisme, éditions Olivétan, 2016, 220 p., 20 €

         
PROPOS RECUEILLIS PAR GÉRALD MACHABERT

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