Cap au large

Un voyage pour se faire du bien

01 mai 2017

Claire Denise, bien connue des vieux amis éclais du mellois poitevin, a passé trois semaines dans le sud de l’Inde pour une cure ayurvédique. Stéphane Griffiths l’a rencontrée et nous relate son expérience au pays du yoga.

Claire fait du yoga depuis bien avant le cancer qui la touche depuis trois ans, et elle rêvait de ce voyage qui l’emmènerait sur les terres indiennes, berceau du yoga et de la médecine ayurvédique qu’elle considère comme complémentaire à notre médecine occidentale. Le film sur la médecine ayruvédique Mon docteur indien(1) l’avait également beaucoup marquée. La lourdeur des chimio et le coût du voyage l’avaient éloignée de ce rêve. L’an dernier, elle fête chez elle ses quarante ans et le cadeau que lui font tous ses amis lui permet de prendre son billet et de partir pour trois semaines dans l’extrême sud de l’Inde à Kovalam dans le Kerala.

Une simplicité de vie

Claire n’a jamais cru que les médecins seuls allaient la guérir. Elle a senti très vite qu’elle devait s’impliquer elle-même. Elle me cite alors le livre de David Servan-Schreiber, Anticancer(2), où il dit que trois choses concourent avec la médecine : l’alimentation, le sport et le développement du lien corps-esprit par l’accompagnement psychologique, la relaxation, l’ouverture vers une dimension spirituelle. Et le yoga est pour elle un moyen de développer le lien corps-esprit. Même dans les moments de faiblesse extrême, Claire visualisait des enchaînements de yoga dans sa tête.   
Le lieu du stage © Claire Denise

Le Kerala est un des états les plus riches de l’Inde. On ne peut à proprement pas parler de misère, mais on y découvre une certaine simplicité de vie, des réseaux de transport sommaires, des maisons de bric et de broc avoisinant d’autres demeures luxueuses. Claire avait beaucoup lu avant de partir afin d’avoir quelques clés lors de son arrivée, notamment par rapport au système de caste, propre à l’Inde.

Le centre de soins ayurvédiques accueille en continu pendant l’hiver une vingtaine de personnes, quasiment toutes françaises. Ici il est difficile de cacher ses vraies motivations du fait de la proximité dans cette vie ascétique. C’est avec beaucoup d’humour qu’elle me décrit ses compagnons, les rangeant dans trois « castes ».

Trois catégories

Les premiers, des professeurs de yoga, un peu imbus d’eux-mêmes (au contraire de l’esprit du yoga), ont atteint un certain niveau dans l’approche de la vérité. Ils sont sûrs de leur connaissance, prônent un ascétisme assez dur, et se permettent d’asséner des jugements, durs parfois, estimant que l’on ne tombe pas malade si l’on prend soin de son corps. Certains professeurs viennent seuls, d’autres amènent un groupe en leur proposant les soins, la pratique du yoga avec eux, des sorties et des conférences.

Ensuite, des parisiens/citadins aisés, touristes accomplis (comme il y a un tourisme industriel, un tourisme culinaire, ici c’est le tourisme santé !). Ils viennent ici se faire servir, profiter des massages et de la plage quand, à Paris, la grisaille de janvier emporte la bonne humeur. Tu te poses trop de questions, disent-ils à Claire lorsqu’elle essaye de comprendre la vie des gens. Ils prennent les autochtones en photo sans leur demander leur avis parce qu’ils sont trop pittoresques et finissent leur journée épuisante devant un cocktail au bar de la plage devant un coucher de soleil qu’ils raconteront à leurs amis de retour à Paris avec des superlatifs.

Enfin, les troisièmes viennent effectivement se ressourcer, nettoyer leur corps, découvrir un pays, sa spiritualité. Certains, non croyants, cherchent l’Autre sans le savoir. Car ici tout est religion. Un temple, une mosquée ou une église à chaque coin de rue, tout le monde est croyant. Les religions importées sont mâtinées d’hindouisme et se libèrent dans les fêtes, pleines de lumière kitch, d’encens, de foules en saris colorés et de chants répétitifs crachés par des haut-parleurs antiques. Claire y a ressenti une énergie intense et une puissance spirituelle collective mais s’est trouvée un peu déroutée par les manifestations magiques vécues dans des processions au rythme des tambours où la transe vous guette.

Une leçon de vie

Et Claire s’est sûrement sentie plus appartenir à ce troisième groupe. Au programme pour elle, le matin, baignade au lever du soleil, massages et soins à base de décoctions de plantes et d’huile, du repos, des temps de QI-Qong, de méditation et de yoga seule dans sa chambre ou sur la terrasse, Claire ayant dû vite renoncer aux cours collectifs, trop durs physiquement et bien trop acrobatiques. Mais son plus grand plaisir, ce sont les après-midi qu’elle va passer avec ses amies cuisinières à éplucher les légumes et à essayer de communiquer.   
Les cuisinières © Claire Denise
Elles étaient un peu gênées qu’une Française vienne partager leur quotidien. Est-ce que tu as des servantes ? Ta fille fait-elle des études ? Pourquoi fais-tu la cuisine ? Des questions et des réponses avec trois mots d’anglais et une nouvelle langue des signes inventée pour l’occasion. Assises par terre, avec un couteau qui ne coupe pas et sans manche pour couper des légumes de toutes les couleurs, éclats de rire et simplicité, odeurs, sourires complices et communion profonde. Femmes à leur place, paraissant heureuses dans leur condition, remplies d’une richesse intérieure et d’une humilité non feinte, femmes tout en bas de l’échelle des castes, celle des serviteurs, juste devant les intouchables. Si parfois un des gérants passe, silencieux, donnant une instruction sans les regarder, vite les rires se taisent et chacun reprend sa place. C’est comme ça…

De retour au lieu dit Groie l’Abbé, dans sa cuisine « équipée », elle me raconte et revit les heures passées avec ses nouvelles amies en cuisine, pauvres et soumises mais pleines d’une gentillesse sincère, les yeux pétillants d’intelligence et de lumière. Une leçon de vie.

Les cinq sens en éveil (Extrait du journal de Claire écrit au cours du voyage en Inde)

L’ouïe : jamais le silence : les oiseaux qui coassent, les mantras hurlés des haut-parleurs et l’appel à la prière de la mosquée, les klaxons, les vendeurs de rue : Pineapples ! Mangos ! Bananas !

La vue : couleur des femmes en saris, guirlandes de lumières dégoulinant des arbres millénaires des temples, déchets enchevêtrés, entassés, brûlés, scooters chargés de bidons et de familles au complet, lampes à huile devant des images de dieux, sacs d’épices au marché…

L’odorat : l’odeur des ordures brûlées, les égouts, les fleurs du temple, les épices grillées et les gaz d’échappement…

Le goût : les carys, l’eau de la noix de coco fraiche, les cacahuètes grillées.

Le toucher : le sable sous les pieds, les bulles dans les vagues, le souffle des ventilos, le crissement sous les pieds de plein de choses non identifiées, les mains des masseuses sur ma peau en creux et en bosses, sur les muscles douloureux, sur les cicatrices, chaque mm2 de peau malaxée, enduite… Le picotement des yeux devant une plage du bout du monde, des couchers du soleil ou en quittant les cuisinières et les masseuses le dernier jour… 

 

En savoir plus

(1) Mon docteur indien, réalisateur : Simon Brook, producteur : Arte France, Artline Films, 2012. Une histoire vraie, individuelle et singulière, de guérison. Un éminent cancérologue français, mû par le désir de confronter ses connaissances, est entraîné en Inde du Sud par une ancienne patiente qui a soigné son cancer grâce à la médecine indienne.

(2) David Servan-Schreiber, Anticancer, Pocket évolution, 2010

 

Stéphane Griffiths

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