Histoire

Un jeune officier protestant rescapé du radeau de La Méduse

01 février 2017

Le 27 août 1822, Félicité Élisa Clarisse Bertrand, jeune fille de bonne famille, marennaise de 26 ans, épouse un officier de marine, Jean-Daniel Goudein, protestant de 28 ans, l’un des rares rescapés du radeau de la Méduse. Exactement 200 ans après, le 3 juillet 2016, un hommage a été rendu à cet officier, né et décédé à La Tremblade, ainsi qu’à tous les naufragés tremblanais.

Après une interruption de 22 ans, les Bourbons, en la personne de Louis XVIII, frère cadet de Louis XVI, reviennent au pouvoir. Les émigrés rentrent et veulent retrouver leurs positions et prérogatives. Les Français sont divisés entre républicains, bonapartistes, royalistes et ultra- royalistes. Ces tensions se retrouveront à bord de la frégate La Méduse. Chaumarey, ultra-royaliste en demande et en obtient le commandement. Il a pour mission d’aller entériner la restitution de la colonie du Sénégal à La France.

Le naufrage

En voulant prendre de l’avance et en dépassant les trois autres bateaux, la frégate dévie de sa trajectoire et quitte la route prévue. Le 2 juillet 1816, La Méduse s’échoue sur le banc d’Arguin, à 160 kilomètres de la côte mauritanienne. L’équipage construit un radeau pour délester la frégate de ses lourdes marchandises. Les opérations de remise à flot s’avèrent vaines. L’évacuation devient nécessaire. 233 passagers, dont Chaumarey, embarquent sur six canots et chaloupes afin de gagner la terre ferme. 149 marins et soldats, dont une femme, s’entassent sur le radeau de fortune. Jean-Daniel Goudein qui est le plus jeune officier de marine, se trouve contraint de prendre le commandement du radeau. Incapable de manœuvrer, le radeau est amarré à quatre des canots et une des chaloupes. Le remorquage est difficile et l’ensemble chaloupes-canots-radeau dérive vers le large, si bien que les officiers responsables des canots décident de larguer les amarres.

Le commandant Chaumarey décide d’abandonner à leur sort les passagers du radeau, avec leurs maigres vivres. Les infortunés ne disposent plus que d’un paquet de biscuits, consommé le premier jour, de deux barriques d’eau douce et de six barriques de vin. La situation se dégrade alors rapidement : les naufragés, pétris de peur, se disputent et font tomber leurs barriques d’eau douce dans l’océan, se reportant sur les barriques de vin pour étancher leur soif. Au septième jour, il ne reste que 27 survivants dont la moitié agonise. La faim, la colère, le délire éthylique pousse quelques désespérés à se jeter à l’eau ou à se livrer à des actes d’anthropophagie. Les officiers décident de jeter les blessés à la mer afin de conserver les rations de vin pour les hommes valides.

Au bout de treize jours, le 17 juillet 1816, le radeau est repéré par le brick L’Argus. Mais il ne reste à son bord que quinze rescapés. Cinq hommes meurent dans les jours qui suivent à bord de l’Argus. Selon le critique d’art Jonathan Miles, la mésaventure vécue par ces hommes sur le radeau de La Méduse les a conduits aux frontières de l’existence humaine. Devenus fous, reclus et affamés, ils massacrèrent ceux qui comptaient se rebeller, mangèrent leurs compagnons décédés et tuèrent les plus faibles. Au total, le naufrage causa la mort de plus de 150 personnes.

L’affaire

Sans la rivalité entre deux ministres d’un même gouvernement, il n’y aurait probablement pas eu d’affaire de La Méduse dans laquelle le jeune élève officier protestant, Jean-Daniel Goudein a été impliqué bien malgré lui.

Le radeau avait été construit sur ordre de Chaumarey pour embarquer environ 150 hommes, pour l’essentiel des militaires. II reste dix témoins qui racontent l’indicible et accusent aussi le commandement, parfois malgré eux, tel Jean-Baptiste Savigny, 23 ans, chirurgien qui le premier regagne Paris en août 1816, et remet son rapport au Ministre de la marine.

D’un côté, le Vicomte du Bouchage, ministre de la Marine, du haut de ses 67 ans, est un des plus en vue des ultra-royalistes. Et de l’autre, Élie Louis Decazes, 36 ans, ministre de la police aux idées libérales, s’oppose à ses collègues du gouvernement voulant faire table rase de la Révolution et revenir à l’Ancien Régime. Lorsque Decazes a connaissance du rapport Savigny, il s’en sert pour abattre son adversaire et le fait publier par la presse.

Bouchage est impliqué, personnellement, pour avoir nommé Chaumarey. La publication de larges extraits du rapport Savigny dans le Journal des débats, organe officiel du parti royaliste, bien que modéré, met en cause toute la hiérarchie de la marine et provoque un scandale immédiat, y compris international. Début 1817, lors de son procès, Chaumarey, reconnu coupable, échappe à la peine de mort. Il est radié de la Marine et condamné à trois ans d’emprisonnement en forteresse. Fin 1817, Bouchage remet son portefeuille. En 1819, Decazes devient président du Conseil.

Le Radeau de la Méduse, 1819, peinture à l’huile, toile sur

bois, par Théodore Géricault. Musée du Louvre

Entre 1818 et 1819, le peintre français Théodore Géricault illustre le drame sur une toile dont le titre initial, donné par l’artiste lors de la première présentation, est Scène de naufrage. Ce sera le célèbre Radeau de La Méduse.

Le dénouement

Avant de s’embarquer pour le Sénégal, sur La Méduse, le jeune officier de marine Jean-Daniel Goudein a offert à sa fiancée une citrine de belle taille sur laquelle était gravé : souffrir et espérer ». Ce n’est que six ans plus tard que, en 1822, il épouse Félicité Élisa Clarisse Bertrand, jeune fille de bonne famille, marennaise de 26 ans.

Pourquoi attendent-ils si longtemps avant de se marier ? Jean-Daniel navigue et c’est seulement à compter du 17 mars 1722 qu’il est « à terre » à Rochefort.

Les deux épousés s’installent à La Tremblade et vingt jours après leur union, Jean-Daniel embarque sur la frégate La Vestale pour la Martinique. Il en revient le 3 juin 1823, deux jours après la naissance à La Tremblade de sa fille Clara Esther Camille. Puis il est envoyé au Brésil d’où il revient le 28 décembre 1825, soit un peu plus d’un an après la naissance de sa deuxième fille Clarisse Adélaïde née le 10 décembre 1824.

En mars 1827, naît son fils qui selon la coutume reçoit le même prénom que son père et son grand-père. À son tour, il devient officier de marine et, comme eux, reçoit la légion d’honneur et même le grade de commandeur. Le décès brutal de sa mère, en 1830, n’a pas affecté sa carrière. À l’occasion d’une escale à Alger, Jean-Daniel rencontre Nathalie Pastoureau de Charet qu’il épouse. Comme elle est catholique, il a l’obligation de signer un engagement à ce que ses enfants soient baptisés selon le rite catholique.

En conclusion, à l’occasion d’une commémoration, l’histoire nationale s’est invitée dans un cimetière familial protestant qui a parlé, éclairé, révélé et permis de décrypter ce que fut la vie d’un couple et d’une famille d’officier de marin au XIXe siècle.

Allocution de Bertrand Goudein, le 2 juillet 2016

En savoir plus

200 ans plus tard, le samedi 2 juillet 2016, Bertrand Goudein le plus âgé des descendants directs, précise dans son allocution que la famille continue à entretenir ce cimetière familial, pour conserver le souvenir des Goudein, natif de La Tremblade. Ce qui correspond bien à l’esprit de cette famille du XIXe siècle qui a fait graver sur leur tombe :

- … chérissons sa mémoire, imitons ses vertus (tombe du père)

- qui connait ses vertus chérira sa mémoire (tombe du fils)

- … son âme est avec Dieu ; sa mémoire reste avec nous qui l’aimons tant (tombe de la mère)

Les éditions Le Croît vif ont sollicité l’écrivain Didier Jung pour dresser la biographie de Jean-Daniel Goudein. Ce livre devrait paraître en 2017.

Robert Martel

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