À la rencontre de

Marc Binnié et la souffrance du chef d’entreprise

01 février 2018

Il est traditionnel, dans les expressions bien-pensantes, de considérer qu’un « patron » est forcément un homme riche, préoccupé essentiellement par les moyens de dissimuler au mieux ses « profits ». Mais la réalité est tout autre et la souffrance touche un nombre important de chefs d’entreprise, surtout parmi les TPE-PME.

Partant de ce constat, Marc Binnié, greffier du Tribunal de commerce de Saintes, a créé avec Jean-Luc Douillard, psychologue-clinicien, l’Apesa-Aide pour l’Entrepreneur en Souffrance Aigüe.

Le contexte

Plus de 60 000 entreprises déposent leur bilan chaque année en France, dont 90 % de TPE (surtout) et PME. Et, parmi ces entreprises, neuf sur dix sont mises en liquidation judiciaire.
En théorie, la procédure est simple : le dirigeant constate que son entreprise ne peut plus faire face à ses obligations (charges, cotisations, salaires…). Il se déclare en cessation de paiement ; cette déclaration est une obligation légale, sous peine de sanctions graves. Le Tribunal de commerce décide alors si l’entreprise peut se redresser – dans ce cas, elle est placée en redressement judiciaire, pour une période d’observation qui est généralement de six mois. Si elle en est incapable, elle est alors mise en liquidation.
 
© APESA

Mais dans la pratique, une défaillance d’entreprise peut briser de nombreuses vies : pour le petit patron, celui qui s’est un jour mis « à son compte », son entreprise est souvent toute sa vie, et l’engrenage risque fort de s’enclencher : huissiers à la maison, saisie des biens, convocations devant une instance judiciaire, incompréhension, tout cela entraînant pertes de repères, divorce souvent, négligence de son aspect corporel, dépression parfois et aussi, malheureusement, suicide (un suicide de chef d’entreprise tous les deux jours).
De plus, cet échec a forcément des répercussions sur la famille, et sur les salariés de l’entreprise quand il y en a (il ne faut pas perdre de vue que les PME représentent, en Europe, 50 % de l’emploi salarié).

Le dispositif Apesa

Ce constat a amené Marc Binnié, greffier, et Jean-Luc Douillard, psychologue, à créer une structure d’accueil et de soutien pour les personnes qui auront été dépistées comme « à risque » au cours des audiences au tribunal.
L’urgence, pour l’Apesa, est d’insérer le patron en souffrance dans un dispositif où il pourra parler de ce qui lui est arrivé, car la défaillance de son entreprise est pour lui un sujet de honte, il essaiera même de cacher ses difficultés à sa famille, préférant souffrir en silence.
Le dispositif lui fait réaliser qu’on reconnait sa souffrance et qu’il lui faut faire face à son désespoir avec deux autres interlocuteurs : un psychologue formé à ce type de problèmes, cinq entrevues gratuites sont prévues pour libérer la parole et desserrer la honte et la colère, une infirmière, qui va régulièrement prendre contact, recueillir des nouvelles, soutenir, conseiller, écouter.

Palais de justice de Saintes © Gilles Carbonell
  Marc Binnié et Jean-Luc Douillard ont initié cette démarche, et l’ont présentée dans d’autres régions de France, de telle sorte qu’aujourd’hui une quarantaine de tribunaux de commerce ont mis en place ce dispositif.
Marc Binnié ne se réfère pas à une attitude chrétienne, il explique que ni le Code de commerce ni le Code de procédure civile ne prévoient quoi que ce soit sur ce plan, et reste complètement neutre quand on lui dit que l’Évangile dit quelque chose à ce sujet : aime ton prochain comme toi-même.

Voilà une phrase qu’on entend au culte presque chaque dimanche, mais Marc Binnié fait partie de ceux qui la mettent résolument en pratique. 

Gilles Carbonell

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