Femmes protestantes (1)

Katharina von Bora (1499-1552)

01 janvier 2018

Nous commençons ce mois-ci une série de portraits de femmes remarquables, entrées dans l’histoire du protestantisme pour avoir joué un rôle important, su répondre aux besoins et défis de leur temps, ouvert des voies vers l’avenir. À part deux Allemandes, les femmes des réformateurs Luther et Zell, nous nous limiterons à des Françaises.

 

Notons d'abord que les profondes transformations apportées par Luther dans l’Europe du XVIe siècle touchent aussi à la place de la femme et du couple. L’affirmation du salut par la grâce seule remet en question le principe, admis alors, que le célibat des moines et des prêtres est un acte méritoire qui plaît davantage à Dieu que la vie du peuple laïque. Non, la nonne n’est pas plus assurée de son salut que la mère de famille ! En revenant à l’autorité de l’Écriture, on trouve confirmation dans les Épîtres que les premiers responsables des communautés dans l’Église primitive étaient souvent mariés.

© Commons wikimedia

 

Sortir des couvents

En demandant aux réformateurs et aux pasteurs de se marier, alors que c’était interdit aux prêtres, Luther ouvrait à leurs femmes un nouveau statut : seconder leur époux dans son ministère et le soutenir dans l’ensemble de sa vie, tout en partageant les tâches familiales du commun des fidèles. C’est le rôle qu’assumera pleinement son épouse.

Katharina von Bora, de bonne famille, avait été mise au couvent dès 6 ans quand son père veuf voulut se remarier. Elle y prononça ses vœux à 16 ans. Lorsque les idées de Luther se répandent jusqu’au couvent, elle fait partie des quelques jeunes filles qui souhaiteraient le quitter. Elles écrivent à Luther qui organise leur évasion, la nuit de Pâques, avec la complicité du livreur de harengs du pays, lequel emmène une douzaine de nonnes sous la bâche de son chariot. Dès leur arrivée à Wittenberg, elles sont confiées à des familles ; la plupart se marieront assez vite. Pas Katharina ! Les promesses non tenues d’un jeune noble qu’elle aimait, mais dont les parents ne voulaient pas qu’il épouse une ex-nonne, puis le refus qu’elle oppose à une autre proposition, la maintiennent plus longtemps dans le célibat. Elle est alors au pair dans la famille du peintre Cranach l’ancien, très lié à Luther, où elle apprend comment gérer un grand ménage. Luther la juge orgueilleuse, trop indépendante.

 

Le mariage

Aussi est-ce pour ses amis une grande surprise quand le réformateur annonce qu’il se marie et que c’est avec elle. Le moment semble mal choisi : la guerre des paysans est dure en ce début d’été 1525. Melanchthon, le réformateur ami de Luther, est mécontent. Pourtant cette union de Martin (42 ans), peu amoureux au début, et de Kathie (26 ans), qui, pour sa part, ne refuse pas cette offre-là, sera très heureuse, et même exemplaire. On connaît des gravures de la famille de Luther, modèle de la parfaite famille pastorale, qui chante auprès du père musicien.

Pour Katharina, devenue responsable de la lourde maisonnée qu’est le « Cloître noir », un ancien couvent, les tâches sont multiples. Avec l’aide de la tante Lena et avec des serviteurs, mais un budget faible, il faut nourrir de grandes tablées d’hôtes et de pensionnaires et bientôt sa propre famille. Elle s’occupe du jardin, du verger, d’un étang à poissons, même de faire la bière que boit son mari. Lui apprécie son travail, son courage, ses compétences, sa curiosité intellectuelle, car elle ose l’interroger pour suivre à table la conversation. Les lettres qu’il écrit à sa femme dans ses fréquents voyages manifestent confiance, admiration, tendresse. Malgré les deuils (ils perdent deux enfants sur cinq), malgré les crises dépressives de Luther, toujours trop occupé, Katharina restera son aide solide. Après la mort de Martin (1546), la vie de la veuve sera dure, mais leur mémoire reste à jamais inséparable.

 

Marjolaine CHEVALLIER,
maître de conférence honoraire à la faculté de théologie protestante de Strasbourg

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