Femmes protestantes (4)

Isabeau Vincent

01 avril 2018

C’est au moment où les choses vont au plus mal pour les réformés en France que va se faire entendre la voix d’Isabeau Vincent. On est en effet, en 1688, sous le règne de Louis XIV qui a décidé de supprimer définitivement le protestantisme dans son royaume.

À la mémoire des « petits prophètes » (© DR)

Depuis qu’il exerce le pouvoir, il a annoncé sa volonté de réunifier son peuple selon la devise une foi, une loi, un roi. Il ne veut plus de l’exception ouverte par l’Édit de Nantes, de son grand-père Henri IV, qui permet à la minorité de la RPR (Religion prétendue réformée) de pratiquer une foi différente. Il commence par réduire le nombre des lieux où l’exercice du culte est autorisé : on y détruit le temple. Il réduit les professions ouvertes à ceux qui se disent protestants. La pression augmente dans tous les domaines pour qu’ils se convertissent. Puis on a recours à la violence et ce sont les fameuses dragonnades (à partir de 1681) qui contraignent les familles persécutées à une abjuration détestée. Et lorsque les listes de signatures s’allongent, en octobre 1685, le roi porte le coup définitif, fatal : c’est la Révocation de l’Édit de Nantes.

Dès lors, la situation de ceux qui restent est désespérée : plus de temples, tous sont rasés ; plus de pasteurs, tous sont bannis ou, s’ils ont abjuré, étroitement surveillés ; plus de culte, plus de parole, plus même d’autorisation de chanter les psaumes tant aimés.

Contrainte pire encore, l’obligation d’être ce qu’on n’est pas, puisque tous ces anciens huguenots sont désormais appelés Nouveaux convertis.

 

L’apparition d’une prophétesse

C’est alors, en février 1688, que se produit un événement inattendu. En Dauphiné, au village de Saoû près de Crest, une bergère très jeune, qui ne sait pas lire et qui parle patois, se met pendant la nuit à parler, comme elle ne sait pas le faire. Elle semble en transe, elle appelle à la repentance, elle prie et chante, prononce des paroles bibliques et exhorte. Nuit après nuit, on la produit dans les villages, elle se met à parler français ; bien des gens viennent l’écouter, retrouvant courage. Pour eux, elle est le signe que Dieu ne les a pas abandonnés, une prophétesse, comme l’avait annoncé Joël (3.2).

De cette Isabeau, on ne sait presque rien : ni sa date de naissance, on sait seulement qu’elle n’a pas 17 ans, ni ce qu’elle deviendra après son arrestation (juin 1688), son incarcération dans la tour de Crest puis à Grenoble, ni la date de sa mort. Mais c’est elle la toute première de ce mouvement dit « des petits prophètes ». Il y aura comme une flambée en 1688-89, puis le mouvement durera, en feu sous la cendre, et se réveillera dans l’incendie des Camisards, la Guerre des Cévennes (1702).

 

Miracle ou simagrée ?

Isabeau Vincent est une porte-parole, portant une parole que l’on avait voulu étouffer. Elle fut l’objet d’une polémique immédiate et durable. Pour les uns c’est un miracle, et le professeur Jurieu, réfugié aux Pays-Bas, ose l’affirmer. Pour les autres, c’est une simagrée : les catholiques croiront à la légende d’un formateur qui bourre le crâne de ces jeunes, leur apprend un rôle, les postures à mimer, les versets à répéter… L’historiographie du protestantisme a été gênée par ces épisodes trop contraires à la raison.

J’aime cette simple fille, dans son humilité, obéissante au Seigneur dans l’acceptation de l’événement qu’elle vit, et de ce qui parle. Il ne faut pas oublier Isabeau Vincent, la bergère de Saoû, dont toute l’Europe protestante entendit parler en son temps. Elle continue à nous interroger.

 

Marjolaine CHEVALLIER,
maître de conférence honoraire à la faculté de théologie protestante de Strasbourg

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