Le prisme de la robe pastorale

En mode protestant

16 juin 2022

Si l’on s’en tient aux lieux communs, la «?mode protestante?» est austère et peu avenante. Mais existe-t-il pour autant une mode protestante?? La difficulté de la question réside dans la diversité culturelle du protestantisme : il y a tout et son contraire.

La manière classique d’aborder le sujet consiste à s’en tenir aux clercs où il est d’usage d’opposer le luxe catholique à la sobriété protestante. Historiquement, l’image la plus frappante de cette différence a pu être observée au colloque «?œcuménique?» de Poissy (1661), tentative royale pour concilier les positions catholiques et protestantes à l’aube des Guerres de religion, où la délégation protestante conduite par Théodore de Bèze, vêtue de costumes sombres et simples, contrastait avec les magnificences vestimentaires des prélats catholiques en phase avec les codes aristocratiques de la Cour.

 

Un peu de sérieux universitaire

L’histoire de la robe pastorale dans les Églises luthéro-réformées est, jusqu’à une période récente, relativement rectiligne. Les réformateurs, Martin Luther en tête, ont voulu pour les pasteurs une formation universitaire exigeante (équivalent aujourd’hui au master pro, comprenant l’étude du grec et de l’hébreu) : l’habit pastoral classique est une robe universitaire de couleur noire (comme une robe d’avocat) agrémentée d’un rabat blanc en deux parties avec quelques menues variantes stylistiques pour distinguer les luthériens des réformés. À cela, ajoutons que de nombreuses dénominations protestantes n’exigeant pas de leurs clercs une formation universitaire, leurs pasteurs prêchent en costume «?civil?» (plus cravate) plus ou moins élégamment taillé selon leur goût personnel, voire leur degré d’adhésion à la théologie de la prospérité.

(© Virginie Faux)

 

Libéral ou orthodoxe??

Pour s’en tenir aux Églises luthéro-réformées, la question de la robe pastorale a évolué depuis la fin des années soixante. Sur cette période récente, selon l’orientation théologique du pasteur, la robe noire reste d’actualité mais deux autres options sont possibles : d’une part, l’aube blanche, témoignant d’une conception du pastorat catholicisante ; d’autre part, le port d’une tenue «?civile?», conséquence d’une théologie soit libérale soit, à l’inverse, évangélique. Mais la «?vraie?» nouveauté est induite par le développement du ministère féminin. Depuis les années 1930 dans les Églises luthéro-réformées françaises, le ministère féminin, d’abord toléré sous certaines conditions (dont le célibat), a fini par accéder dans ces Églises à une égalité de traitement.

 

De la mode de la robe

Dans le protestantisme concordataire d’Alsace-Moselle, les nouvelles promotions pastorales sont depuis plusieurs années majoritairement féminines et dans un futur proche, le ministère pastoral y sera majoritairement féminin. La lutte des pionnières avait d’abord consisté à pouvoir revêtir cette robe pastorale «?masculine?» qu’on leur refusait depuis le XVIe siècle.

Une fois ce droit acquis et depuis peu, se font jour des demandes spécifiques de robes pastorales plus «?pratiques?» que la robe universitaire mais aussi plus «?féminines?», voire fashion?! Cette tendance trouve sa matérialisation dans des projets comme Casual Priest (www.casualpriest.com), entreprise suédoise proposant des tenues féminines très proches du corps, dotées d’un col ecclésiastique. Et depuis juin 2020, la styliste et costumière restauratrice française Virginie Faux confectionne sous la marque F.Pastoral (www.fpastoral.com) une série de robes pastorales (tissus bio) alternatives, pour femmes et aussi pour hommes. C’est ainsi qu’à ma demande, Virginie Faux m’a confectionné une robe pastorale en Denim, tissu protestant par excellence.

 

Pour ce qui est des robes féminines, les demandes portent sur des robes que l’on pourrait aussi porter en dehors des cultes, en tout confort et en toute élégance. Ces robes pastorales féminines «?fashion?» ont suscité dans le microcosme pastoral un vif intérêt, mais aussi quelques agacements auprès de collègues conservateurs, d’autant que les médias, et pas seulement la presse protestante (France Culture, mais aussi RTL), se sont fait l’écho de cette nouveauté. Le protestantisme redeviendrait-il à la mode??

Philippe François
pasteur de l’Union des Églises protestantes d’Alsace et de Lorraine

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