À la rencontre de

André Comte-Sponville

01 novembre 2018

Dans votre dernier recueil L’inconsolable et autres impromptus (Presses universitaires de France), textes presque toujours déjà publiés, et retravaillés, vous commencez par L’inconsolable qui est une sorte de confession : vous consolez mal et n’aimez pas être consolé, surtout pas par la religion. Ici, on dirait que votre athéisme est plus existentiel que raisonné.

Bien sûr ! Mon athéisme, comme la foi selon Pascal, relève du cœur plus que de la raison. Cela ne m’empêche pas de raisonner, donc en l’occurrence de fournir des arguments contre l’existence de Dieu. Mais les arguments ne viennent qu’après ! On a la foi ou on ne l’a pas, puis l’on cherche les arguments qui peuvent justifier, mais presque toujours après-coup, une position qui est en effet existentielle avant d’être raisonnée. J’ajoute qu’un impromptu est le contraire d’un traité : j’essaie d’y penser au plus près de ce que je suis, de la façon la plus subjective, la plus sincère, la plus spontanée. Or je ne suis pas d’abord raison mais d’abord désir, sensibilité, affectivité, comme chacun d’entre nous.

Le droit de Dieu disparaissant, le droit de la Nature émerge. Et pourtant, vous n’êtes pas de ceux qui assimilent la nature à Dieu ; vous n’êtes pas panthéiste. Comment échappez-vous à cette mode ?

 
© Sylvie Thybert

Mon christianisme de jeunesse m’en protège. Le vrai Dieu, comme disait Blaise Pascal, ce n’est pas quelque chose mais quelqu’un : un être personnel, doué de conscience, de volonté, d’amour… Aucun de ces traits ne vaut pour la nature. Elle ne saurait donc être Dieu. Le panthéisme n’est qu’une idolâtrie de plus. J’aime mieux habiter l’absence de Dieu que lui chercher d’encombrants ou dérisoires substitutifs.

Votre avant-dernier texte est celui de « l’athée de service ». Est-ce parce qu’il y a en vous « quelque chose de Jésus-Christ », pour paraphraser Johnny Hallyday ?
Il y a « quelque chose de Jésus-Christ » en tout occidental, du fait de l’histoire, voire en tout homme, du fait de la mondialisation. Il y a aussi quelque chose en moi de Socrate ou du Bouddha, de Confucius ou de Lao Tseu… L’humanité est une : à chacun d’y trouver son chemin. Intellectuellement, je suis plus proche du bouddhisme (d’abord parce qu’il n’y a pas de Dieu dans le bouddhisme : pour un athée, c’est quand même plus commode !). Mais affectivement, culturellement, moralement, le christianisme me touche davantage. Ce n’est pas parce que je suis athée que je vais refuser de voir la grandeur du message évangélique, ce que Spinoza appelait « l’esprit du Christ », qui est de justice et de charité !

En quoi le judéo-christianisme est-il le ferment des droits de l’homme, et en quoi ne l’est-il pas ?
Il ne l’est pas toujours, puisque l’Église résista longtemps à plusieurs de ces droits (par exemple la liberté de conscience) et puisqu’on peut se battre pour les droits de l’homme sans jamais avoir été juif ni chrétien… Mais il le fut, du moins en partie, en Occident. En quoi ? D’abord par le monothéisme : s’il n’y a qu’un seul Dieu, nous sommes tous ses enfants, et frères au moins par là. Et aussi en ceci que le christianisme enseigne que la dignité d’un être humain ne dépend ni de sa puissance, ni de sa richesse, ni de sa race… On aimerait ajouter « ni de sa religion », comme l’indique la parabole du bon Samaritain, mais certains passages des Évangiles incitent à plus de nuance. Qui sont mes frères ?, demande Jésus. Et de répondre : ceux qui font la volonté de Dieu. Curieuse conception de la fraternité ! Arrêtons de rêver : Jésus était un maître spirituel d’exception, mais pas un droit-de-l’hommiste !

Défendre le droit des chrétiens à croire, c’est défendre… la laïcité, dites-vous. Pouvez-vous expliquer en quoi ?
En ceci que la laïcité c’est d’abord le fait que l’État garantisse la liberté de pratiquer la religion que l’on veut, d’en changer ou de n’en pratiquer aucune. La plupart des chrétiens y sont aujourd’hui favorables, dans les pays où ils sont majoritaires. Mais ils sont souvent opprimés dans les pays où ils sont minoritaires, spécialement, il faut bien le constater, dans les pays musulmans. Défendre les chrétiens opprimés, c’est donc défendre la laïcité, et réciproquement !

Propos recueillis par Philippe Malidor

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