Histoire

Adélaïde Hautval, « Amie des juifs »

01 septembre 2018

Un médecin protestant dans les camps d’internement français et dans les camps de concentration

Adélaïde Hautval (1906-1988) fut parmi les premiers Français à obtenir la distinction de Juste parmi les Nations. Une exposition lui a été consacrée dans un musée d’Orléans intégré aujourd’hui au Mémorial de la Shoah, le Centre d’étude et de recherche sur les camps d’internement dans le Loiret et la déportation juive (Cercil), au printemps, puis prolongée jusqu’au 30 septembre 2018(1).

Adélaïde Hautval passe son enfance à Hohwald, un village d’Alsace (alors allemande) où son père, pasteur réformé, exerce son ministère. Il lui décrivait les Juifs comme le peuple de l’Écriture.

Elle étudie la médecine à Strasbourg où elle obtient sa thèse en 1934. Elle quitte l’Alsace pour le Sud-Ouest en septembre 1939 et exerce dans des hôpitaux psychiatriques de la « zone libre ».

Du refus de se plier à la politique antisémite de Vichy

Arrêtée en mai 1942 à Vierzon pour soupçon de franchissement illégal de la ligne de démarcation, elle est détenue à Bourges pour avoir pris la défense en allemand d’une famille juive : Puisque vous défendez les juifs, vous partagerez leur sort. Elle est ensuite internée en juillet 1942 dans les camps du Loiret (Pithiviers, puis Beaune-la-Rolande) comme « amie des Juifs ». Elle avait fabriqué, puis porté en détention une étoile jaune en marque de sympathie envers les juifs faisant l’objet de rafles.

 

Elle prodigue ses soins et accompagne les internés, notamment des femmes et enfants victimes de la rafle du Vel’ d’Hiv’. 
Elle ne se sentait pas internée mais en mission et aidait tout le monde par son cran magnifique, écrira Annette Monod(2) à l’une de ses sœurs.
Elle a toujours refusé de renier ses paroles et elle est finalement, après un passage à la prison d’Orléans, transférée au fort de Romainville où elle est détenue avec des résistantes, puis déportée à Auschwitz en janvier 1943.
Des allers et retours entre Auschwitz et Birkenau, puis Ravensbrück et Watensted, mais, sa qualité de médecin étant très vite reconnue, elle est envoyée dans des infirmeries ou des blocs opératoires de ces camps.

Au refus de participer aux « expériences médicales » nazies

Le docteur Lorska, l’une de ses codétenues au sinistre Block 10 du camp principal d’Auschwitz où elle est envoyée de mars à août 1943, a témoigné que c’était elle qui lui avait donné les mots pour tenir : Aucune de nous ne sortira vivante de tout cela, mais tant que nous serons là, nous devons nous comporter comme des êtres humains.
Elle a même eu la force de refuser à plusieurs reprises de participer à des « expériences », notamment des stérilisations de femmes en brûlant leurs organes avec des produits caustiques. Ainsi, à propos de la question de l’un des responsables : Ne voyez-vous pas que ces gens (les juifs) sont des gens différents ? elle apporte ce témoignage : Je ne puis m’empêcher de répondre que dans ce camp, bien des gens sont différents de moi, par exemple lui(3).
Elle est à Ravensbrück lors de la libération du camp en avril 1945, mais y reste afin de s’occuper des malades qui ne peuvent être immédiatement transportés. Elle quitte le camp pour la France avec les derniers malades français le 25 juin 1945.
Dès décembre de cette année, elle est décorée de l’Ordre national de la Légion d’honneur en décembre 1945 pour son dévouement envers les autres déportés dans les camps. Mais, n’appartenant à aucun réseau ou organisation de résistance, elle n’obtient qu’avec difficulté une carte de déportée résistante. Et c’est après son intervention en avril-mai 1964 à Londres comme témoin à un procès en diffamation (affaire Dering) qu’elle est nommée Juste parmi les Nations.
Si sa foi a accompagné son comportement, on peut aller au-delà en affirmant que sa foi a fondé son engagement.

(1)L’exposition retraçait la vie d’Adélaïde Hautval à partir d’un ouvrage de Georges Hauptmann et Maryvonne Braunschweig, Docteur Adélaïde Hautval dite « Haïdi » 1906-1988. Des camps du Loiret à Auschwitz et à Ravensbrück, édité en décembre 2016 par le Cercle d’étude de la Déportation et de la Shoah – Amicale d’Auschwitz en partenariat avec la Faculté de médecine de l’Université de Strasbourg (Petit Cahier/2e série/n° 25, 238 p).

(2)Annette Monod fut l’assistante sociale de la Croix Rouge qu’a incarnée Mélanie Laurent dans le film, La Rafle, que la réalisatrice Rosalyne Bosch a consacrée à la rafle du Vélodrome d’Hiver.

(3)Adélaïde Hautval, Médecine et crimes contre l’humanité. Témoignage. Cet opuscule, rédigé dans son premier jet dès 1946, a été publié après sa mort par Actes-Sud (collection La fabrique du corps humain) en 1991, puis réédité par les Éditions du Félin (collection Résistance/Liberté-Mémoire).


Que retenir aujourd’hui ?

- L’analyse qu’Adélaïde Hautval fait du nazisme dans les dernières pages de son livre de témoignage : Le national-socialisme n’est pas né d’une génération spontanée. Il est né d’une synthèse diabolique, systématisée, hypnotisante et codifiée, pêchée dans les eaux troubles de la pensée humaine, présentes en chacun de nous. Il a su exploiter au maximum toutes les xénophobies, la force des idées reçues, acceptées comme vraies parce que tout un milieu les partage. Il est difficile de résister à une intoxication quotidienne de slogans, surtout quand ils sont assénés par le pouvoir en place, l’autorité suprême. Bien des gens de bonne foi s’y sont laissés prendre et bien d’autres tomberont encore dans le piège.

- Son éthique médicale. Elle est aujourd’hui pleinement reconnue comme le montre la décision en mai 2015 des Hôpitaux de Paris de donner son nom à l’un de ses établissements, celui de Villiers-le-Bel, qui portait le nom d’un prix Nobel de médecine connu pour ses idées racistes. Mais, plus généralement, son humanisme : alors qu’elle fut très discrète sur son comportement pendant la guerre au cours de ses presque trente années de présence active au foyer de Grenelle à Paris (elle y tenait l’harmonium), elle s’est exprimée de la façon la plus claire dans le bulletin paroissial à propos de la répression, le 17 octobre 1961, d’une manifestation pacifique d’Algériens : Qui de nous eût cru possible que, si peu de temps après (la guerre), ces mêmes principes seraient mis en question, et ceci dans notre propre pays ?

- Son refus de toute compromission et l’adéquation entre ses convictions et ses actes. Sur une fontaine que lui a dédiée sa commune de naissance en 1993, est inscrit : Pense et agis selon des eaux claires de ton être.

 

Philippe Guttinger

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